Disparition de Jean-Paul Laumond, pionnier de la planification du mouvement en robotique
L’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions du CNRS (INS2I) et la délégation régionale du CNRS Occitanie Ouest ont l’immense tristesse d’apprendre la disparition brutale de Jean-Paul Laumond, directeur de recherche émérite CNRS au DI-ENS, qui était une figure de proue de la robotique, notamment humanoïde.
La disparition brutale de Jean-Paul Laumond, directeur de recherche émérite CNRS, est une triste nouvelle qui frappe la communauté scientifique dans son ensemble. Jean-Paul Laumond était une référence internationale, ses qualités humaines étaient très appréciées par tous. Il était l’un des pionniers en robotique humanoïde, notamment en planification de mouvement, en mettant en œuvre des approches interdisciplinaires (théorie des graphes, géométrie algorithmique, automatique, algorithmes probabilistes et neurosciences).
Né en 1953, Jean-Paul Laumond était directeur de recherche émérite CNRS au DI-ENS à Paris depuis janvier 2019, après avoir été chercheur au Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes du CNRS (LAAS-CNRS) à Toulouse durant 34 ans. Il a obtenu son master de mathématiques et soutenu sa thèse sur la structuration de l’espace d’un robot mobile par décomposition de graphes planaires à l’Université Paul Sabatier. Il a d’abord enseigné les mathématiques avant de rejoindre le CNRS en 1985.
Il s’est consacré tout d’abord aux systèmes non holonomes (1986-2000), c’est-à-dire les systèmes mécaniques prenant en compte les contraintes dans leurs capacités de déplacement (une voiture ne pouvant se déplacer de façon latérale par exemple). Ses travaux (1996-2004) se sont concentrés ensuite sur le problème dit du « déménageur de piano », quand le système, en plus de subir des contraintes non holonomes, doit se déplacer dans un espace très réduit. Pour faire face à la complexité combinatoire intrinsèque de ce problème, il a introduit de nouveaux paradigmes probabilistes pour sa résolution, afin d’explorer les différentes solutions possibles. Cette avancée a été fondamentale sur le plan théorique (introduction d’un mécanisme original de contrôle des méthodes d’échantillonnage aléatoire), mais aussi sur le plan pratique par le développement d’une plateforme logicielle générique, plateforme qui a été valorisée en 2000 par la création d’une start-up, Kineo CAM. L'entreprise a développé alors des composants logiciels bien implantés dans le secteur du prototypage virtuel pour l'industrie automobile et l'aéronautique. Kineo a été distingué par le Ministère de la recherche par son prix de l’innovation et de l’entreprise en 2000, et par le 3e prix pour l’innovation et l’entrepreneuriat en robotique et automatique de l’IEEE-IFR en 2005. L’entreprise a été acquise en 2012 par Siemens.
Après avoir participé à l’essor du laboratoire franco-japonais de robotique JRL (qu’il dirige de 2005 à 2008), il s’est passionné à partir de 2001 pour l’étude du mouvement anthropomorphe. En 2006 il a lancé au sein du LAAS-CNRS l’équipe Gepetto dédiée à l’étude des mouvements humains à travers trois perspectives : mouvement artificiel de robot humanoïde, mouvement virtuel pour des acteurs digitaux et des mannequins, et mouvements naturels des êtres humains. Ses travaux ont atteint ainsi un nouveau niveau de complexité en combinant les contraintes non holonomes liées notamment à la marche humanoïde et le déplacement dans des environnements restreints. Ses avancées ont permis d’envisager des robots capables d’intervenir dans des espaces contraints, accidentés comme après une catastrophe, ou réduits dans l’industrie, en interaction avec des opérateurs humains. Ses recherches ont été soutenues tout d’abord par le projet ANR Locanthrope de 2007 à 2010, puis par son ERC Advanced Grant Actanthrope en 2014.
À partir de 2019, il a décidé de se rapprocher d’experts en intelligence artificielle, et notamment de vision par ordinateur, en se donnant comme objectif d’associer plus finement les fonctions de perception à celle de planification du mouvement. Il a mené depuis ses recherches au sein de l’équipe Willow du DI-ENS (équipe-projet commune Inria/ENS-PSL/CNRS) dans le cadre d’une chaire de l’Institut 3IA Prairie (PaRis AI Research InstitutE), à la frontière entre robotique et intelligence artificielle.
Son parcours exemplaire couvre toutes les facettes d’un chercheur d’exception : rayonnement scientifique au premier plan, création et direction de l’équipe Gepetto au LAAS-CNRS, direction du laboratoire international franco-japonais JRL, fondateur de la start-up Kineo… En 2015 il entre à l’académie des technologies, et en 2017 il est élu membre de l’académie des sciences. Grand scientifique et penseur, Jean-Paul Laumond a fait école. Il a formé des générations de docteurs dont plusieurs sont devenus à leur tour des chercheurs renommés aussi bien dans le public que le privé.
Jean-Paul Laumond a souvent été sollicité par les médias pour son expertise sur la robotique humanoïde et les systèmes autonomes. Il a été co-commissaire scientifique de l’exposition permanente Robots ouverte en avril 2019 à la Cité des Sciences.
Infatigable défenseur de sa discipline et soucieux de transmettre au-delà du cercle des experts, il co-organisait avec Daniel Andler un colloque commun entre l’Académie des sciences et l’Académie des sciences morales et politiques, le 24 novembre 2021 à l’Institut de France, intitulé « Mythes et Machines - Robotique et Intelligence Artificielle : penser la technologie aujourd’hui. »
Chercheur d’envergure internationale, Jean-Paul Laumond a contribué à porter la recherche française, et la robotique en particulier, au plus haut niveau mondial. Avec sa disparition, le CNRS et la recherche française perdent l’un des pionniers en robotique.
Pour lui rendre hommage
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