Les pierres agissent aussi

CNRS le journal Sciences humaines & sociales

Il est commun d’associer les pierres à la fixité, la résistance et la permanence. Pourtant, dans différentes sociétés, les pierres renvoient aussi au mouvement, à la transformation et à l’incertitude. L’étude des relations aux pierres motive depuis plusieurs années les recherches de l'anthropologue Laurence Charlier Zeineddine, enseignante chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires1 (LISST).

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Nord Potosi (Bolivie), 2018. 

© Laurence Charlier Zeineddine 

Pour la plupart des géologues, les pierres ne sont pas vivantes mais elles agissent2À hauteur d’être humain, la mobilité des pierres est trop lente pour être perçue. Mais sur le temps long, les géomorphologues peuvent déceler la croissance d’un rocher ou d’une chaîne de montagne. Ils lisent les paysages comme l’histoire de mouvements. Les géologues ne sont pas les seuls à repérer ces mobilités. Dans différentes sociétés, des rochers ou des pierres de l’environnement sont réputées agir (un rocher tremble, une pierre avance, une autre pousse…). Ces pierres ne sont pas forcément taillées ou gravées ; elles ne font pas non plus toujours l’objet d’offrandes ou de prières. Comment cet agir des pierres est-il saisi et expliqué par les différents groupes qui sont en relation avec des pierres ?

Les pierres non travaillées par la main ont pourtant facilement échappé à l’attention des anthropologues. Leur étude ne relève-t-elle que du domaine des sciences naturelles ? Comment dissiper la frontière entre l’examen des activités sociales réservé aux anthropologues et l’étude des matériaux destinée aux géologues ?

À hauteur de pierre

La perspective anthropologique classique a le mérite d’avoir insisté sur le rôle social des pierres. Celles-ci peuvent être employées pour améliorer l’agriculture ou pour soigner les gens ; elles peuvent être utilisées pour borner un espace ou maintenir des échanges interethniques. Elles peuvent enfin témoigner du passé d’une société ou révéler un geste technique. Anthropologue au sein du LISST, Laurence Charlier Zeineddine a voulu changer de perspective et insister sur le fait que les groupes n’ont pas obligatoirement un point de vue utilitariste et anthropocentré : les pierres ne sont pas toujours des ressources, des remèdes ou des réceptacles d’entités surnaturelles dont le pouvoir serait bénéfique. Ce point de vue plaide pour mener une recherche anthropologique « à hauteur de pierre », une recherche qui évite de subordonner immanquablement les pierres aux activités humaines, techniques ou rituelles.

  • 1Tutelles : CNRS, UT2J
  • 2On pourra nuancer ce constat. Les géologues Patrick de Wever et Karim Benzerara (2016) ont mis l’accent sur les influences croisées du géologique et du biologique. Le biologiste Thomas Heams (2019) a remis en cause quant à lui l’opposition inerte/vivant en développant la notion d’infravie. De Wever P., Benzerara K. 2016, Quand la vie fabrique les roches, Edp sciences. Heams, T. 2019, Infravies. Le vivant sans frontières, Seuil.

Contact

Laurence Charlier Zeineddine
Maitresse de conférences UT2J au Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (LISST - CNRS, UT2J)