Pendant le Covid-19, des paysages sonores extraordinaires se sont dévoilés
En mars 2020, les portes sont restées closes, les voitures ont disparu des routes. La pandémie du Covid-19 a mis sur pause le monde entier. Avec elle, la faune locale a repris son territoire et le paysage sonore a considérablement changé. Loin des tumultes de l’humanité, cinq scientifiques du CNRS, de l'Institut Mines-Télécom de Brest (IMT Atlantique), de l’Institut de recherche du développement (IRD), du Muséum national d’Histoire naturelle et de l’Institut d’acoustique de l’université du Mans ont coordonné une collaboration internationale à grande échelle impliquant 261 personnes de 35 pays pour récolter des données acoustiques durant la première vague de confinements.
Les résultats de cette étude ont été publié dans la revue Scientific Data du groupe Nature. Le jeu de données du projet « Silent Cities », disponible en ligne sous licence Creative Commons (CC-BY 4.0), permet d’envisager de nombreuses utilisations, tant disciplinaires qu’interdisciplinaires.
De la pollution sonore aux chants des oiseaux
La pollution sonore est un phénomène auquel le vivant doit désormais faire face dans une grande partie du monde. Les sources de sons d’origine humaines sont multiples, d’une grande variété et peuvent être rencontrées jusque dans les milieux très isolés (bruit des avions de ligne survolant les massifs montagneux ou les grands espaces inhabités par l’Homme).
Cette production de sons dits anthropiques est essentiellement concentrée dans les espaces urbains : véhicules motorisés, machines, usines, chantiers, manifestations et autres événements extérieurs se produisant dans l’espace public. Mais suite à la mise en place de mesures plus ou moins strictes de confinement des populations lors de la pandémie du Covid-19, les oiseaux ont à nouveau fait entendre leurs vocalises dans les rues de nos villes et jusque dans les centres d’acier, de verre et de ciment des mégapoles à travers le monde. En révélant la richesse des sons d’origine animale (ou biophonie) jusqu’alors occultée par une multitude de sons d’origine humaine (ou antropophonie), la diminution soudaine des flux physiques urbains a façonné des paysages sonores littéralement extraordinaires.
Un dispositif rigoureux déployé dans 35 pays
Le protocole “Silent Cities” a été mis en place pour enregistrer les paysages sonores urbains de manière standardisée. Des boitiers enregistreurs ont été programmés pour capturer une minute de son toutes les dix minutes, sur un cycle quotidien.
Entre mars et octobre 2020, des enregistrements ont été réalisés dans 317 sites répartis dans 197 villes et 35 pays, principalement en Europe et en Amérique, couvrant une diversité de contextes urbains et climatiques. L’ensemble de ces enregistrements correspond à plus de 2,6 millions de minutes de son. Le prétraitement des données a consisté à extraire les métadonnées et à diviser les enregistrements en segments de 10 secondes pour calculer divers indices acoustiques et identifier automatiquement les événements sonores.
Huit indices ont été retenus pour résumer la complexité sonore, et une annotation manuelle a été réalisée par les participants sur 1351 minutes d'enregistrements provenant de 30 sites. Pour gérer le volume important de données restant, des algorithmes d’intelligence artificielle ont été utilisés pour la reconnaissance automatique des événements sonores et la détection de l’activité vocale, permettant notamment d'exclure les segments contenant de la parole afin de protéger la vie privée. Le jeu de données a finalement été validé en recroisant les reconnaissances automatisées avec les annotations manuelles, et en évaluant l'impact des mesures de confinement sur les paysages sonores urbains.
Des résultats accessibles à tous
Les résultats ont montré que le confinement augmentait les niveaux de biophonie et réduisait ceux d’anthropophonie, confirmant ainsi la capacité du jeu de données à refléter les changements sonores induits par les mesures de confinement liées à la pandémie de Covid-19. Ces résultats désormais disponibles en accès libre devraient permettre de multiples possibilités d’utilisation.
Grâce à toutes ces pistes de recherches, l’équipe du projet Silent Cities espère que ce jeu de données contribuera de manière significative à l’avancée des sciences de l’environnement et permettra d’enrichir notre compréhension des socioécosystèmes urbains, ces “espaces ordinaires” dans lesquels la majorité d’entre nous évoluons chaque jour mais auxquels nous ne prêtons que peu d’attention.
Notes
Challéat, S.*, Farrugia, N.*, Froidevaux, J.S.P.*, Gasc, A.*, Pajusco, N.* & Silent Cities project consortium. A dataset of acoustic measurements from soundscapes collected worldwide during the COVID-19 pandemic. Scientific Data (2024). *Contributions équivalentes
Pour en savoir plus : https://doi.org/10.1038/s41597-024-03611-7
- Laboratoire Géographie de l'environnement (GEODE) (CNRS - Université Toulouse Jean Jaurès)
- Contact Samuel Challéat, chercheur CNRS au laboratoire Géographie de l'environnement (GEODE) : samuel.challeat@cnrs.fr