[POINT DE VUE] La tête dans le guidon : plus de connaissances pour enrayer la machine ?

Les connaissances scientifiques sur le changement climatique sont en croissance exponentielle depuis 50 ans, à une vitesse 4 à 5 fois supérieure aux autres domaines scientifiques. Cet effort de recherche est notamment justifié par l'effet supposé positif de la quantité de connaissances pour la protection du climat et de la biodiversité et les engagements pro-environnementaux individuels et collectifs. Mais l’engagement des écologues et des climatologues est loin d’être notable, malgré une connaissance aiguë des problèmes et enjeux de la crise bioclimatique. 

Dans un article récemment publié dans Nature Ecology & Evolution, des chercheurs questionnent l’idée qu’une accumulation de connaissances rationnelles puisse amorcer les changements nécessaires de nos sociétés. Mieux connaître est-il toujours bénéfique pour mieux protéger ?

: La recherche comme posture analytique et extérieure face à la destruction des mondes qui nous entourent
"La recherche comme posture analytique et extérieure face à la destruction des mondes qui nous entourent ". ©Léonard & Frédéric Dupont

En 2024, les émissions mondiales de CO2 atteignent des niveaux jusqu’alors inégalés de mémoire de capteurs. Face à l’inaction politique, le monde académique accumule toujours plus de connaissances. Cette course au savoir est souvent justifiée par l’idée que mieux protéger ce qui nous entoure exige une meilleure compréhension scientifique. Cette « hypothèse de la connaissance » est relevée par les auteurs de l’étude à toutes les échelles : UNESCO, Union Européenne, instituts de recherche, et scientifiques individuels eux-mêmes. Ainsi, on s’attendrait à ce que la quantité de savoir scientifique qu’un individu détienne favorise la quantité et la radicalité de son engagement pro-environnemental.

Un manque d’engagement des scientifiques

Or, les enquêtes et travaux en psychologie et en sociologie révèlent que les chercheurs en écologie et en sciences du climat sont peu engagés eux-mêmes. Leur savoir rationnel sur la gravité de la crise bioclimatique a beau être extraordinairement supérieur à celui de tous les autres groupes sociaux, ils n’en demeurent pas moins très peu engagés. Les auteurs soulignent comment le manque d’engagement des scientifiques illustre que le savoir rationnel est au mieux nécessaire, mais insuffisant pour amorcer des changements radicaux dans les comportements et les imaginaires. 

Ces constats ébranlent l’hypothèse de la connaissance : produire plus de faits scientifiques et les partager ne sera pas salutaire, la connaissance n'étant probablement plus le facteur limitant. Ajoutées à l’empreinte environnementale trop élevée de la recherche moderne (14 tonnes de CO2 équivalent par agent CNRS en 2019, au lieu d’un maximum de 2 tonnes pour respecter les accords de Paris), ces considérations devraient fortement inciter à une réflexion collective sur le sens et les objectifs de la recherche scientifique.

Les auteurs s’opposent à l’activisme ambiant prêchant pour plus de “research as usual” en questionnant des perspectives pour eux-mêmes et le reste du monde académique. Sans prétendre apporter de réponse ni de solution, les auteurs entament des questionnements difficiles sur le sens du métier de chercheur en temps de crise, et sur les récits intérieurs qui mènent à justifier un besoin pour toujours plus de recherche.

Pour en savoir plus

Dupont L., Jacob S. & Philippe H. (2024), Scientist engagement and the knowledge-action gap, Nature Ecology & Evolution, 1-11, 10.1038/s41559-024-02535-0. 

  • Léonard Dupont, Station d’Écologie Théorique et Expérimentale (SETE - CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier) : leonard.dupont@sete.cnrs.fr 

Contact

Mélina Le Corre
Chargée de communication et relations presse