Un procédé de retraitement de l’amiante unique par sa rentabilité
Spécialistes de chimie industrielle au Laboratoire de génie chimique (LGC – CNRS, Toulouse INP, Université Toulouse III – Paul Sabatier), Michel Delmas et Ghislain Denis ont mis au point un procédé qui permet d’extraire le magnésium et la silice des déchets d’amiante. Une technique unique qui annihile la toxicité de l’amiante en s’attaquant directement aux fibres, et rend possible l’extraction de deux éléments utilisés dans de nombreux secteurs comme l’agriculture, l’industrie aéronautique ou les énergies renouvelables. L’innovation a conduit à la création de la start-up Valame qui devrait commencer à produire du chlorure de magnésium et de la silice de manière industrielle début 2021.
Michel Delmas, s’intéresse à la valorisation des déchets industriels et agricoles, minéraux et organiques. Chercheur au Laboratoire de génie chimique (LGC) et professeur émérite de l’INP-ENSIACET s’intéresse à “la meilleure transformation en termes écologiques et économiques” et depuis la fin des années 1990, tout particulièrement au silicate de magnésium, plus communément appelé amiante : “Tout a commencé en 1997 à Terre-Neuve au Canada. Je suis passé devant une mine d’amiante dotée d’un bâtiment flambant neuf destiné au retraitement des résidus d’extraction avec une destination autre que les traditionnelles fabrications de toitures, revêtements, canalisations et matériaux plastiques. Je me suis alors demandé comment utiliser ce résidu différemment, tout en s’affranchissant de sa toxicité”. De retour en France, Michel Delmas poursuit sa réflexion avec le docteur en chimie Ghislain Denis, spécialiste du recyclage comme lui.
Attaquer les fibres de l’amiante
Les deux scientifiques du LGC ont finalement décidé d’extraire sélectivement deux éléments de valeur présents en grandes quantités dans l’amiante : le magnésium et la silice. Le magnésium sous sa forme chlorure de magnésium peut être utilisé en agriculture pour le traitement des sols, pour remplacer le sel qui sert à dégeler les routes ou après réduction sous forme de métal léger pour l’automobile ou l’aéronautique. La silice, de son côté, est un épaississant utilisable dans les peintures, les pneus, le dentifrice. Elle provient du silicium qui est aussi un matériau constitutif des panneaux solaires. “La toxicité de l’amiante provient de la géométrie en aiguille de ses fibres, qui ont la capacité de pénétrer dans les alvéoles pulmonaires, souligne Ghislain Denis. En s’attaquant directement aux fibres, nous pouvons “dépolluer” l’amiante, tout en récupérant magnésium et silice”. Les deux scientifiques inventent alors un procédé qui permet d’attaquer les fibres du silicate de magnésium avec de l’acide chlorhydrique, à 100°C pendant une heure. On récupère ensuite d’un côté les fibres de silice amorphes, qui ont perdu leur toxicité, et le magnésium en solution. Dans cette solution, est également produit du chlorure de fer que l’on souhaite isoler. “Une des spécificités du procédé qui a été breveté en 2008, est l’ajout d’oxyde de magnésium qui fait précipiter le fer, que l’on peut alors filtrer pour récupérer uniquement le magnésium en solution”, détaille Ghislain Denis.
Les premières productions début 2021
Depuis le succès de la technique sur de l’amiante pure issue de déchets miniers, Michel Delmas et Ghislain Denis ont élargi les applications à d’autres matériaux comme l’amiante en cordon ou la bourre d’amiante. À ce jour, il n’existe pas d’autre technique industrialisable et rationnelle économiquement pour le retraitement de l’amiante. En raison du potentiel de cette technique, la société d'accélération du transfert de technologies Toulouse Tech Transfer (TTT) a négocié une licence d’exploitation du brevet avec la société d’ingénierie Neo-Eco. Mais c’est finalement l’entrepreneur Pierre-Emmanuel Lepers qui concrétise l’industrialisation de la technologie en créant la start-up Valame en 2019. La construction d’une usine de traitement devrait commencer mi-novembre, pour un démarrage de la production début 2021. En attendant, Michel Delmas et Ghislain Denis, continuent à conseiller Valame, notamment pour élargir le champ d’applications de leur solution à des déchets mixtes comme l’amiante-ciment, le flocage au plâtre ou les dalles de sol.
Fleur Olagnier
Journaliste scientifique