Une biopuce à ADN pour détecter les micropolluants dans l’eau

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Directrice de recherche CNRS en biophysique à l’Institut de pharmacologie et de biologie structurale à Toulouse (IPBS, CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier), Laurence Salomé est à l’origine d’un test qui utilise l’ADN double brin pour détecter dans l’eau des substances toxiques à des concentrations très faibles. La première application du procédé sensible et rapide concerne la détection de médicaments de type antitumoraux, et vient tout juste de paraître dans la revue scientifique Analytical Chemistry.

Après une thèse sur les polymères en solution à l’ESPCI à Paris, Laurence Salomé obtient un poste au CNRS au Centre de recherche Paul Pascal de Pessac. À partir de 1990, elle travaille sur les mécanismes de migration par électrophorèse en gel et les techniques de séparation en taille de longs ADN. Pour cela, elle s’appuie sur l’observation de molécules individuelles en microscopie de fluorescence. Laurence Salomé intègre ensuite l’IPBS de Toulouse où elle apporte son savoir-faire à sa nouvelle équipe de biophysique des membranes cellulaires. « Fin 1997, j’ai introduit au laboratoire une autre approche « molécule unique » : le Single Particle Tracking, c’est-à-dire le suivi d’une nanoparticule accrochée à une molécule de la membrane d’une cellule. Les mouvements de la nanoparticule facilement détectables en microscopie optique reflètent ceux de la molécule ainsi marquée », explique la directrice de recherche.

La biopuce brevetée en 2010
Puis au début des années 2000, un collègue généticien sollicite Laurence Salomé afin d’utiliser une variante de cette technique appelée Tethered Particle Motion dans l’étude in vitro d’un mécanisme de recombinaison de l’ADN. « En analysant le mouvement d’une nanoparticule fixée à une extrémité du brin d’ADN - ancré par l’autre extrémité à un support - on peut déduire la longueur du brin, décrypte la biophysicienne. Nous avons alors prouvé pour la première fois, que l’étape initiale de ce mécanisme de recombinaison est la formation d’une boucle dans l’ADN ». Convaincue du potentiel du procédé pour l’étude de l’ADN, Laurence Salomé lance alors en 2006 le projet Nanomultiplex pour paralléliser la méthode. En collaboration avec Catherine Tardin de l’IPBS, elle met au point une biopuce. Brevetée en 20101 , elle se compose d’une lame de verre sur laquelle sont immobilisés des brins d’ADN, chacun couplé à une nanoparticule grâce à une technique transmise par Christophe Vieu, chercheur au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes du CNRS (LAAS-CNRS).

Détection ultrasensible d’agents toxiques dans l’eau
La biopuce permet, grâce à l’observation du mouvement des nanoparticules, de détecter les changements de conformation des brins d’ADN si ceux-ci sont assez importants. « Ces déformations peuvent être induites par le contact de l’ADN avec certaines protéines, notamment toxiques, appuie Laurence Salomé. L’idée nous est donc venue d’utiliser la biopuce comme détecteur ultrasensible de micropolluants dans l’eau, c’est-à-dire des substances qui interagissent avec l’ADN en le modifiant, soit de potentiels génotoxiques ». Une récompense au salon Pollutec 2012 montre l’intérêt des acteurs de l’eau pour le concept. Laurence Salomé et son équipe cherchent donc à tester l’efficacité de la biopuce sur différentes substances, et c’est début 2020 qu’ils publient leurs premiers résultats sur la détection d’agents intercalants dans la revue Analytical Chemistry. Ces agents aux propriétés génotoxiques et cytotoxiques sont notamment utilisés en chimiothérapie. Comme leur nom l’indique, ils s’intercalent entre les paires de base de l’ADN, augmentant ainsi sa longueur de contour et l’amplitude de mouvement des nanoparticules. Laurence Salomé recherche aujourd’hui des industriels pour miniaturiser et automatiser la technologie en un dispositif permettant de tester les effluents à la sortie des hôpitaux et des usines pharmaceutiques. « Nous travaillons aussi à l’extension de la technologie à la détection spécifique d’autres molécules dans l’environnement : médicaments, toxines ou encore pesticides  », conclut la biophysicienne.

Fleur Olagnier
journaliste scientifique

  • 1Brevet prioritaire FR1057031 « Biopuces pour l’analyse de la dynamique de molécules d’acides nucléiques », déposé le 03/09/2010, CNRS et Institut national des sciences appliquées de Toulouse (INSA) - EP 2 611 940 B1 déposé le 01/09/2011