Volerons-nous un jour dans des avions hybrides ?
À l’heure où l’impact écologique de nos moyens de transport fait l’objet d’une attention particulière, les technologies basées sur l’énergie électrique occupent une place de plus en plus centrale. Cette nouvelle ère de l’électrification ne se limite pas au domaine de l’automobile. C’est aujourd’hui au tour du secteur aérien de penser la propulsion de demain, plus optimisée, plus économique et surtout, plus écologique. Afin de motiver cette transition, l’Union européenne (UE) s’est associée à l’initiative technologique conjointe Clean Sky, dans le cadre de son programme de financement de la recherche et de l’innovation Horizon 2020. C’est ainsi qu’est né le projet HASTECS1 , préfigurant une collaboration entre plusieurs laboratoires rattachés au CNRS et Airbus.
Les prémices d’une belle histoire
Initié en septembre 2016, l’objectif principal du projet est clairement défini : analyser le potentiel d’hybridation énergétique d’un avion régional d’environ 70 places, avec un rayon d’action situé entre 600 et 800 kilomètres.
Fort d’étroites relations avec le tissu industriel et scientifique national et international, un consortium académique porté par le LAPLACE (Laboratoire plasma et conversion d'énergie2 ) a été retenu dans le cadre d’un appel à projet européen en lien avec un besoin concret exprimé par l’entreprise privée Airbus. Xavier Roboam, directeur de recherche CNRS et directeur adjoint du LAPLACE et coordinateur du projet insiste sur l’importance des résultats des recherches effectuées en amont de cet appel à projet européen qui « ont permis de se préparer pour HASTECS ». Un travail de thèse exploratoire concernant les architectures hybrides électriques les plus prometteuses a été réalisé conjointement par Airbus et le LAPLACE et a permis de faire émerger les opportunités, les difficultés et les cibles technologiques à atteindre pour rendre ce concept viable et écologiquement opportun.
Par ailleurs, le choix d’un avion régional comme cas d’étude pour des recherches consacrées à l’hybridation d’un aéronef n’est pas anodin. En effet, comme l’explique Xavier Roboam « d’un point de vue énergétique, le gain le plus important se fait lors des phases de ralenti moteur, notamment en descente et en taxi ». L’usage d’une propulsion hydride s’avère donc énergétiquement beaucoup moins adapté aux avions moyens ou longs courriers, qui recourent moins souvent à ces phases de ralenti.
Des recherches de pointe pour penser les transports de demain
Le défi relevé par les scientifiques du LAPLACE, avec leurs partenaires, consiste bien in fine à mettre au point les concepts et technologies de conversion d’énergie permettant à une source à puissance électrique de venir suppléer les moteurs thermiques durant les phases de vols où leur rendement est loin de l’optimum.
Le potentiel des sources électriques (batteries ou piles à combustible) a été conjointement évalué de façon prospective par le CIRIMAT (Centre interuniversitaire de recherche et d'ingénierie des matériaux3 ) et le LAPLACE. Dans le cadre d’HASTECS, cette étude a démontré le net avantage des piles à combustible. L’enjeu : converger vers une chaîne de conversion d’énergie (électronique de puissance, moteur électrique, etc.) embarquée extrêmement compacte et légère.
Les recherches ont bien montré que la question du refroidissement définit généralement les limites de la conception d’une chaîne de puissance. C’est pourquoi Xavier Roboam, a pensé à faire appel à l’Institut P' (recherche et ingénierie en matériaux, mécanique et énergétique4 ) de Poitiers, spécialisé dans le refroidissement de systèmes embarqués.
En lien étroit avec les équipes du LAPLACE, l’expertise de l’Institut Pprime sur ces questions a permis de doubler les capacités du moteur électrique, passant de 5kW/kg à 10 kW/kg, grâce en particulier à un système de refroidissement composé de tubes placées au sein même des encoches du moteur électrique, la circulation d’un fluide assurant un refroidissement ciblé et performant des zones critiques, tout en limitant l’ajout de masse. Les innovations relatives au refroidissement des composants de cette chaîne de conversion d’énergie s’appliquent également à l’électronique de puissance, dont la compacité a pu dépasser les objectifs initiaux fixés à 25kW/kg.
La réussite d’un consortium national alliant public et privé
Initié et coordonné par Airbus dans le cadre du programme européen Clean Sky 2, le projet HASTECS s’est terminé en septembre 2021. Il a été coordonné par Toulouse INP et comptait comme partenaires l’ENSMA Poitiers, l’université Toulouse III – Paul Sabatier, l’Université Fédérale Toulouse Midi-Pyrénées et le Centre national de la recherche scientifique. Cette mutualisation des forces a rendu possible un projet dont « les cibles paraissaient parfois inatteignables » explique le directeur adjoint du LAPLACE.
Au sujet du consortium, il explique que « les équipes ont beaucoup échangé. Il y a eu une réelle synergie, surtout entre les jeunes, et c’est une vraie réussite ». En effet, en plus des séjours communs des équipes de recherche, de nombreuses co-publications scientifiques entre les laboratoires ont été recensées dans le cadre d’HASTECS. Au total, six thèses et deux post-doctorats ont été réalisés en lien avec les sujets de recherche du projet, auxquelles s’associent plus de 40 publications.
L’hybridation est-elle pertinente dans le secteur aérien contemporain ?
Le projet HASTECS a permis d’analyser la faisabilité et la pertinence écologique et économique d’un avion régional à propulsion hybride. Pour ce faire, les équipes impliquées sont parvenues à lever des verrous technologiques, tels que la compacité des composants et le refroidissement, pour ne citer qu’eux. Le consortium a ainsi « atteint et même parfois dépassé légèrement les objectifs fixés par l’appel à projet européen » précise Xavier Roboam.
Cependant, malgré l’optimisation au centre du projet, l’ajout d’une chaîne de puissance électrique pour l’hybridation d’un avion impactait sensiblement le poids de l’appareil. Or, dans le secteur aéronautique, cette augmentation de masse entraine un surdimensionnement de l’ensemble (structure, kérosène embarqué), ce qui limite l’efficacité énergétique au niveau avion. D’où la nécessité pointée par Xavier Roboam d’étudier « d’autres gains potentiels sur l’aérodynamique et l’optimisation des moteurs thermiques ».
L’horizon d’un avion zéro émission, évoqué par les constructeurs du milieu aérien depuis quelques années, devra s’appuyer sur des recherches qui conjugueront des efforts sur la chaîne de conversion d'énergie – à l’instar d’HASTECS –, mais aussi sur l’aérodynamique et les sources de puissance à base d'hydrogène. Sans ces innovations réunies, une architecture entièrement électrique concrète et industrialisable ne pourra pas voir le jour. Malgré les défis scientifiques et techniques majeurs inhérents, le projet mené entre Toulouse et Poitiers « nous a montré que l’objectif de la conception d’un avion zéro émission à hydrogène est parfaitement censé » conclut Xavier Roboam.
Les données réunies et les connaissances accumulées poussent aujourd’hui le coordinateur du projet à voir plus loin : « Après HASTECS, aller vers un avion zéro émission à hydrogène paraît être le prochain saut technologique majeur pour notre communauté, qui représenterait un gain environnemental incontestable ».