Trois chercheurs de l’IMT développent une intelligence artificielle “parcimonieuse”

Innovation

Professeur associé à l’Institut de mathématiques de Toulouse (IMT)1 , Mohamed Masmoudi a longtemps travaillé sur le gradient topologique. Une théorie qui l’a conduit à s’intéresser très en amont à l’optimisation des réseaux neuronaux, et donc à l’intelligence artificielle (IA). Ces études menées à l’IMT ont conduit à des développements qui nécessitent beaucoup moins de ressources que l’IA “classique” pour un apprentissage automatique dans des problèmes précis proposés par les partenaires industriels. L’innovation est aujourd’hui promue à travers la start-up Adagos, notamment à destination des secteurs de l’industrie et du médical.

“Sortir les maths du laboratoire, du fondamental à l’appliqué”. C’est ce qu’a essayé de faire Mohamed Masmoudi tout au long de sa carrière à l’Institut de Mathématiques de Toulouse (IMT). Le chercheur découvre les mathématiques appliquées à l’université de Nice, et notamment les éléments à la base de l’intelligence artificielle (IA) que nous connaissons aujourd’hui. En 1987, il soutient un doctorat d’État sur l’optimisation de forme : “J’étais dans un environnement scientifique qui me donnait l’impression d’être un des tout premiers à mettre les mathématiques au service de la société”. Peu après son arrivée à l’IMT en 1988, Mohamed Masmoudi développe la notion de gradient topologique, qui permet d’estimer rapidement la façon d’améliorer la réponse d’un système en modifiant sa topologie. Avec Philippe Guillaume et Julien Pommier, également chercheurs au laboratoire, ils appliquent le concept à différents problèmes industriels et à l’imagerie médicale. Mais le gradient topologique n'est pas le seul chemin vers la parcimonie. Le couplage de modèles (ou règles) et de données en est un autre. Ce thème a d’ailleurs été retenu par ANITI, l’institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle de Toulouse, à travers les modèles hybrides.

Une précision de calcul inégalée

Des travaux qui ont par la suite contribué au développement d’une IA parcimonieuse. “Apprendre, c’est ajuster les connexions neuronales. Si on a moins de connexions, on a moins besoin de données pour les ajuster. D’un autre côté, la contrainte de parcimonie oblige le processus d’apprentissage à aller chercher les structures cachées dans les données, ce qui permet un apprentissage plus intelligent et une meilleure prédiction. En combinant ces éléments, on peut faire de meilleures prédictions avec moins de données”, décrypte le mathématicien. Avec son équipe, ils parviennent à ce résultat et aboutissent alors à des développements qui utilisent environ 3000 fois moins de ressources (données, espace mémoire, énergie) que l’IA “classique” pour un apprentissage automatique dans des problèmes proposés par les partenaires industriels. “Nous n’avons pas choisi le chemin le plus aisé, puisqu’il faut sans cesse réinventer les outils mathématiques, même les plus simples, appuie Mohamed Masmoudi.. Finalement, en 2011, les trois chercheurs créent la start-up Adagos sous l’impulsion de Mohamed Masmoudi : “L’'IMT est un environnement exceptionnel où l'on se tire mutuellement vers le haut. Le laboratoire a accueilli l’initiative très favorablement, et nous a apporté son soutien auprès des instances de l'Université et du CNRS, ainsi qu’une licence d'exploitation de l'innovation aujourd’hui au cœur d’Adagos”.

Le “digital twin” d’une centrale nucléaire

Adagos propose des produits à l’industrie et au médical, des secteurs qui requièrent le niveau de précision très élevé atteint par l’IA parcimonieuse. La start-up peut par exemple aider à déterminer l’évolution d’une maladie, la mécanique du vol d’un avion ou à optimiser la gestion d’une ferme solaire grâce au “digital twin” (jumeau numérique en français). “Notre technologie permet d’ajuster très rapidement le système, en temps réel, grâce à la faible quantité de données dont elle a besoin”, précise Mohamed Masmoudi. Adagos vient d’ailleurs de signer un partenariat avec le spécialiste du nucléaire Framatome, pour le développement d’un “digital twin” qui facilitera la gestion de l’une de ses centrales ! Adagos s’intéresse aussi aux systèmes embarqués pour l’Internet des objets (IoT), puisque sa solution permet de fabriquer des réseaux neuronaux de petite taille. Mohamed Masmoudi se consacre aujourd’hui à 100 % au développement de l’entreprise, tout en continuant d’animer des stages de recherche à l’IMT auprès de lycéens et lycéennes. Le président fondateur d’Adagos ambitionne de continuer à multiplier les partenariats pour les applications métiers et la vente de logiciels. Après un premier logiciel NeurEco dédié aux modèles statiques, il prévoit la commercialisation d’un logiciel de compression et d’un autre de modélisation dynamique pour début 2021.

Fleur Olagnier
Journaliste scientifique

  • 1 IMT – CNRS, INSA Toulouse, Université Toulouse Capitole, Université Toulouse – Jean Jaurès, Université Toulouse III – Paul Sabatier