Bourses ERC : deux projets lauréats coordonnés par le CNRS à Toulouse
L’Europe financera cette année 218 projets de recherche menés par des scientifiques confirmé·es, à une hauteur maximale de 2,5 millions d’euros sur une durée pouvant aller jusqu’à 5 ans. Au terme d’une campagne de candidature ayant réuni plus de 1600 propositions, le Conseil européen de la recherche (ERC) vient d’annoncer les lauréat·es des bourses « Advanced », s’adressant à des scientifiques cumulant au minimum 10 ans d’expérience suite à l’obtention de leur thèse. Cette initiative européenne permettra de financer 32 projets français, dont 12 seront hébergés par le Centre national de la recherche scientifique. Parmi les projets lauréats, deux seront menés et gérés par le CNRS à Toulouse :
Gold-Redox : Pushing Gold beyond its common redox states – Didier Bourissou, directeur de recherche CNRS
Contrairement aux alchimistes, les chimistes modernes n’ont jamais été trop attirés par l’or. En effet, ils voyaient mal comment cet élément plutôt inerte pourrait s’associer à d’autres molécules et produire une chimie originale. Ceci est en train de changer. L’or connaît un regain d’intérêt comme le démontre la bourse ERC attribuée à Didier Bourissou, 50 ans, médaillé d’argent du CNRS en 2016. Son projet vise à « accéder à des réactivités différentes de l’or et montrer qu’il peut produire et accélérer certaines transformations inaccessibles aux autres éléments. Nous allons ainsi développer des ligands nous permettant d’explorer des degrés d’oxydation rares, voire inédits de l’or », explique le chercheur. Cette recherche fondamentale pourrait être à l’origine, entre autres, d’une nouvelle chimie douce, rendant possibles des réactions difficiles à réaliser actuellement.
Didier Bourissou est directeur de recherche CNRS au Laboratoire hétérochimie fondamentale et appliquée (LHFA – CNRS, UT3). Scientifique de vocation, c’est à l’École Normale Supérieure que Didier Bourissou se passionne pour la chimie, véritable science de la création. « C’était comme un coup de cœur. La chimie permet de préparer des molécules et matériaux inédits et de leur donner des propriétés nouvelles. » Après un doctorat à l’Université de Toulouse, Didier Bourissou réalise son service militaire en 1997 en tant que Scientifique du Contingent à l’école polytechnique et depuis 2000, il enseigne à l’X. Entré au CNRS en 1998, son parcours scientifique se déroule au LHFA, unité qu’il dirige entre 2011 et 2020.
Deux axes de recherche illustrent la carrière Didier Bourissou. Le premier consiste à étendre et exploiter l’éventail de comportements et de réactivités des métaux de transition. Ces éléments se caractérisent par des propriétés très riches, notamment lorsqu’ils se présentent sous forme de complexes. Le chercheur développe des ligands originaux qui, en s’associant à ces atomes métalliques leur confèrent de nouvelles réactivités et trouvent de nombreuses applications en catalyse. Didier Bourissou et son équipe étudient et développent plus particulièrement la chimie de l’or et du palladium.
L’autre axe de recherche porte sur les polymères biodégradables. De la conception de nouveaux monomères aux développements de systèmes catalytiques, le travail de Didier Bourissou vise à accéder à des matériaux biodégradables « sur mesure » pour des applications en pharmacologie et en nanolitographie. En collaboration avec des entreprises pharmaceutiques, son équipe crée et étudie des polymères qui, en se dégradant lentement dans le corps humain, peuvent libérer une substance active sur des périodes allant de quelques jours à quelques mois. Ces polymères peuvent notamment être utilisés pour délivrer des médicaments contre le cancer.
Pour le chercheur, cette double activité de recherche fondamentale et appliquée, constitue une richesse. « Ce qui m’a attiré vers la recherche c’est cette liberté pour définir des thématiques, les orienter et les développer. » La bourse ERC lui permettra de suivre cette lignée. « Sans ces financements sur le long terme, impossible de se lancer dans des projets aussi exploratoires. Cette bourse est aussi une reconnaissance des travaux de l’équipe et elle renforce sa visibilité au niveau international. »
GLOW - The Global Latent Workspace : towards AI models of flexible cognition – Rufin VanRullen, directeur de recherche CNRS
Les progrès récents ont permis à l'intelligence artificielle (IA) d'atteindre des performances remarquables dans de nombreuses tâches sensorielles, perceptuelles, linguistiques ou cognitives. Cependant, les modèles d'apprentissage profond (deep learning) manquent encore de robustesse et de flexibilité, tout en étant de très gros consommateurs de ressources de calcul et de données d'apprentissage. Le projet interdisciplinaire GLOW propose d'explorer de nouvelles architectures cognitives inspirées du cerveau, pour une cognition plus robuste, plus flexible et plus frugale. Il s'appuie sur la théorie cognitive de l'espace de travail global (global workspace) : un système à grande échelle intégrant et distribuant des informations entre modules spécialisés (perception, langage, décision, action), pour donner naissance à des formes de cognition plus avancées. Le projet implémentera directement le global workspace dans des modèles de deep learning de complexité croissante et évaluera leur correspondance avec les réseaux cérébraux. Il fournira une évaluation explicite de cette théorie neurocognitive fondamentale et repoussera les limites des systèmes actuels vers une nouvelle génération d'IA.
Rufin VanRullen est directeur de recherche CNRS en neurosciences et intelligence artificielle au Centre de recherche cerveau et cognition (CerCo – CNRS, UT3). Il occupe également une chaire de recherche au sein de l'Institut Toulousain d'Intelligence Naturelle et Artificielle (ANITI). Il étudie le fonctionnement du cerveau, et les différentes manières d'utiliser ces connaissances pour produire des systèmes d'intelligence artificielle plus performants, plus robustes, plus créatifs, et plus proches de la cognition humaine.
Après un cursus de mathématiques et d’informatique, il s’est orienté très rapidement vers les sciences cognitives. Au cours de sa thèse, dirigée par Simon Thorpe, il travaille sur le codage neuronal et le traitement visuel rapide, puis il effectue un post-doctorat au California institute of technology avec Cristof Koch et s’intéresse alors aux mécanismes de l’attention visuelle. En 2002, il est recruté au CNRS. Ses travaux en neurosciences expérimentales et computationnelles explorent le role des oscillations cérébrales dans la cognition. Il démontre notamment que les oscillations font de notre perception un phénomène periodique – une séquence rapide de cycles perceptuels – à la manière d'une séquence vidéo. Plus récemment, sa recherche explore l'intelligence artificielle et les réseaux de neurones profonds. Il a reçu plusieurs financements européens (European young investigator award, ERC consolidator grant) ainsi que la médaille de bronze du CNRS en 2007.
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Cette année, les lauréat·es des ERC Advanced sont issu·es de 27 pays, en commençant par l'Allemagne (37 projets), la France (32), l’Italie (21) et le Royaume-Uni (19). Parmi les candidatures, 23 % ont été déposées par des chercheuses, la proportion la plus élevée depuis le début du programme Advanced.
Avec 12 projets lauréats dont l’organisme est hôte, le CNRS est l’institution qui cumule le plus de bourses à l’échelle européenne, devant le Weizmann Institute of Science (7 projets), les universités d’Oxford et de Cambridge (4) ou encore l’Institut Max Planck (4).