Le cycle du carbone des tourbières de montagne face aux épisodes de sécheresse
Sous l'effet de la sécheresse de 2022, quelles sont les conséquences sur les tourbières de montagne dans les Pyrénées ? Une étude menée par des scientifiques CNRS du Centre de recherche sur la biodiversité et l'environnement (CRBE)1
et du Centre national de recherche météorologiques (CNRM)2
, s'appuie sur un suivi pluriannuel des flux de carbone à l’échelle d'une tourbière de montagne dans le cadre de dispositifs de suivis de long terme.
Un article, publié dans Journal of Geophysical Research : Biogeosciences, a établi six années de bilan de carbone pour une tourbière de montagne en Ariège (Occitanie). Ce suivi a permis d’observer in situ l’impact critique des épisodes de sécheresse, qui conduisent à des émissions de carbone vers l’atmosphère. Les résultats sont le fruit d’une collaboration entre trois laboratoires CNRS de l’Observatoire Midi-Pyrénées3 à Toulouse : le Centre de recherche sur la biodiversité et l'environnement (CRBE), le Centre national de recherche météorologiques (CNRM) et le Centre d'Etudes Spatiales de la Biosphère (CESBIO)4 , ainsi que l’Institut des Sciences de la Terre d'Orléans (ISTO) à Orléans.
Les tourbières, écosystèmes qui se sont développés depuis le début de l’Holocène, ont accumulé d’importantes quantités de carbone dont le devenir est un enjeu crucial pour l’évolution du climat. Cette accumulation de carbone est liée à un léger déséquilibre entre les entrées de carbone par la photosynthèse et les sorties par les émissions de CO2 et CH4, ainsi que les exports fluviaux. Une question ouverte est la capacité des tourbières à maintenir cette fonction écologique malgré le changement climatique et les pressions anthropiques. De plus, les tourbières de montagne sont des écosystèmes soumis à des contraintes écologiques, hydrologiques et climatiques spécifiques.
L’importance du suivi à long terme
Les mesures ont été effectuées sur un site pilote de deux dispositifs de suivi à long terme du CNRS : l’Observatoire homme milieux (OHM) et le Service national d’observation (SNO). Cette étude a permis de quantifier les différents flux de carbone, de comprendre leur variabilité, et d'évaluer le bilan carbone d’une tourbière de montagne dans les Pyrénées françaises sur une période de six ans (2017-2022). Des mesures de terrain et des images satellites ont été combinées à l’aide d’une modélisation statistique pour réaliser cette évaluation.
Les résultats montrent que sur la période étudiée, la tourbière a été une source nette de carbone vers l’atmosphère et les eaux de surface. Cependant, cette tendance cache une forte variabilité d’une année à l’autre. Par exemple, en 2018, la tourbière a agi comme un puits de carbone. Mais au cours de l'été et de l'automne 2022, une sécheresse intense a transformé la tourbière en une source significative de carbone vers l’atmosphère, car les flux de respiration ont fortement augmenté. Le niveau de la nappe phréatique a baissé plus fortement et plus longtemps que les autres années, favorisant la décomposition de la matière organique. Au cours de cet épisode, les températures estivales étaient en moyenne de 3°C supérieures aux références de saison 1991-2020, ce qui a accéléré la décomposition rendue possible par la baisse de la nappe et provoqué les flux de respiration intenses.
La vulnérabilité des tourbières de montagne
L’étude illustre la vulnérabilité des tourbières de montagne aux fluctuations climatiques. Les projections climatiques pour les Pyrénées prévoient une augmentation des températures et une possible réduction de l’humidité du sol en raison de l’évapotranspiration accrue et de la réduction de la période d’enneigement. Ces changements peuvent transformer les tourbières de puits de carbone en sources de carbone.
Notes
Garisoain, R., Jacotot, A., Delire, C., Binet, S., Le Roux, G., Gascoin, S., Rosset T, Gogo S., Granouillac F, Payre‐Suc V., Gandois, L. (2024). Mountain peatlands and drought: Carbon cycling in the Pyrenees amidst global climate change. Journal of Geophysical Research: Biogeosciences, 129(7), e2024JG008041.
- Pour en savoir plus : https://doi.org/10.1029/2024JG008041
- Contacts scientifiques :
- Laure Gandois, chercheuse CNRS au Centre de Recherche sur la Biodiversité et l’Environnement (CRBE - CNRS/UT3/INPT/IRD) : laure.gandois@cnrs.fr
- Raphaël Garisoain, chercheur CNRS au Centre national de Recherche Météorologiques (CNRM - CNRS/Météo France) : raphael.garisoain@umr-cnrm.fr
- Christine Delire, chercheuse CNRS au Centre national de Recherche Météorologiques (CNRM - CNRS/Météo France) : christine.delire@meteo.fr