Le thermopressage pour recycler des matériaux à destination du luxe
Rien n’est impossible pour le Centre d’élaboration de matériaux et d’études structurales de Toulouse (Cemes-CNRS). Le laboratoire a été le deuxième en Europe à utiliser le thermopressage au service de la chimie du solide et de la métallurgie. Vincent Menny, ingénieur en transfert de technologies, et le directeur adjoint du Cemes Alain Couret, ont eu l’idée d’appliquer ce procédé à de la poudre de corne de vache destinée aux manches des couteaux Laguiole... Cinq ans plus tard, la start-up Authentic Material est née. La jeune pousse vient de lever 1,5 million d’euros pour généraliser la technique à d’autres matériaux et séduire un maximum d’acteurs du luxe.
De la métallurgie au luxe, il n’y a finalement qu’un pas. Directeur de recherche au CNRS et directeur adjoint du Cemes, Alain Couret travaille depuis 2005 sur un procédé de frittage à base de poudres pour la métallurgie : "L’idée est d’appliquer à une poudre une pression et une température spécifiques - plus de 1300°C - pour reformer les liaisons atomiques afin de créer un matériau dense”. Un alliage de titane et aluminium très performant issu de cette technique est breveté en 2013. C’est alors Vincent Menny, ingénieur en mécanique chef de projet à la société d’accélération du transfert de technologies Toulouse Tech Transfer (TTT), qui s’occupe de la promotion du brevet auprès des entreprises : “À l’époque, j’étais en contact avec les forges de Laguiole qui faisaient face à une problématique de gaspillage. Dans la fabrication de manches de couteaux en corne de vache, seuls 15 % de la corne creuse, la partie pleine correspondant à la pointe, étaient utilisés pour former le manche. Le reste était jeté”.
Les scléroprotéines, un élément clef
Pour répondre au cahier des charges de Laguiole, Vincent Menny et Alain Couret imaginent alors transposer leur procédé de thermopressage... aux poudres de corne de vache. Ainsi, les 85 % anciennement gaspillés sont broyés, réduits en poudre, chauffés entre 120 °C et 200°C et pressurisés entre 20 et 70 megapascals. Les deux partenaires obtiennent des pastilles redensifiées aux propriétés mécaniques proches de la corne d’origine, prêtes à être usinées et remontées sur de futurs couteaux. Devant le succès de l’expérience, Vincent Menny crée en 2016 la start-up Authentic Material afin de promouvoir les matériaux recomposés au-delà du domaine de la coutellerie. “En 2017, nous avons découvert avec Antoine Rouilly du Laboratoire de chimie agro-industrielle (LCA, Inrae/Toulouse INP), que les scléroprotéines présentes dans la corne de vache étaient aussi dans le cuir, le bois ou les coquillages. C’est cet agent liant qui permet la densification de la poudre par chauffage, explique Alain Couret. Nous avons donc étendu et breveté le procédé de thermopressage à ces quatre matériaux et changé d’orientation scientifique et commerciale”.
Cibler la maroquinerie de luxe
La jeune pousse Authentic Material, hébergée au Cemes depuis ses débuts, cherche à promouvoir son procédé de recyclage auprès de différentes filières industrielles, notamment dans le secteur du luxe. Le marché du cuir et de la maroquinerie est une des cibles principales, puisque cette industrie produit énormément de déchets. Grâce à leur méthode unique au monde de broyage et de densification, Vincent Menny et Alain Couret permettent le recyclage des chutes, par exemple en accessoires de mode en cuir ou en doublures. Chanel ou Hermès font déjà partie des clients de la start-up. Enfin, dans le futur, les partenaires comptent travailler sur le recyclage des déchets en parfumerie, la confection de pré-formes pour diminuer le travail d’usinage des clients, des pièces de grande taille, ou encore l’amélioration de l’hydrophobie et la ductilité de ses matériaux.
Fleur Olagnier
Journaliste scientifique